Arnaud Desplechin et la photo de famille
mai 28th, 2008 by Fanny Lautissier
A partir du film Un conte de noël (sorti en salles le 21 mai dernier, Sélection officielle au festival de Cannes 2008)
« Il n’y a pas un conte de Noël, mais plusieurs, chacun ayant sa façon de raconter son histoire. Desplechin le malin dissout son expérience personnelle dans un bain de fiction acide, mixant indices de vérité et références mythologiques, repères autobiographiques et clins d’œil littéraires ou cinématographiques. »
(Jean-Luc Douin, in Le Monde, 21/05/2008)
Le dernier film d’Arnaud Desplechin est l’occasion de développer une réflexion sur la famille dans toutes ses dimensions : symbolique, psychanalytique, affective, mythique, morale, mais il me semble qu’il nous invite également, en creux, à une étude des manifestations d’une certaine matérialité des liens familiaux et de leur traduction visuelle.
Parmi les “indices de vérité” qui jalonnent le film, pour reprendre l’expression utilisée ci-dessus, il en est qui nous touchent plus particulièrement, parmi les moyens de rendre compte de cette polyphonie familiale :
En plus des nombreux dispositifs de médiation visuelle présents dans ce long-métrage (théâtre d’ombres filmé, cinéma et télévision, peinture, imagerie médicale…), la première moitié est marquée par la photographie de famille. Il ne s’agit pas pour autant d’un poncif, au regard du sujet du film, mais d’un support d’expression qui participe à la construction d’une atmosphère.
On n’assiste jamais au moment de la prise de vue. La photo marque le passage entre différents chapitres du film et vient croiser les modes de narration (voix off…) et structurer le propos des différents personnages.
La maison familiale de Roubaix, devient le lieu central de cette matérialisation de liens familiaux complexes et distendus.
La photographie familiale y est omniprésente. Elle apparaît, non pas de manière organisée, façon album de famille, mais plutôt sous forme de tirages accrochés aux murs, dispersés dans les pièces communes, juxtaposés aux dessins d’enfant sur la porte du réfrigérateur, disposés en pêle-mêle ou encadrés, ornant les meubles du salon…
Ces photographies ont pour fonction d’attester du passé de la famille, de manifester le deuil (le frère Joseph, la femme d’Henri (Mathieu Amalric), Madeleine, décédée un mois après leur mariage dans un accident de voiture). Elles accompagnent ou provoquent le récit et viennent parfois se substituer à lui, en plein cadre, constituant ainsi une sorte de parenthèse de souvenir dans le déroulement du film.
On joue en permanence sur l’ambivalence du caractère privé de la photographie de famille, partout visible, exposée dans la maison et pourtant porteuse de l’intime. Lorsque Sylvia (Chiara Mastroianni) évoque sa relation avec trois jeunes hommes de la famille, elle s’aide d’une photographie symboliquement pliée en trois, qu’elle a tirée d’une boîte secrète rangée dans le placard de la chambre.
La photo marque enfin le moment de la fête de Noël, au coeur du film, puis sa présence visuelle semble s’estomper, à mesure que les liens familiaux se reconfigurent à travers la confrontation directe des personnages.
Ressources complémentaires
Recherches de Nora Mathys sur la photographie privée :
http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2008/02/27/649-la-photographie-privee-une-source-pour-lhistoire-de-la-culture-visuelle
Sur Actualités de la recherche en histoire visuelle :
http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2008/02/06/624-le-complexe-de-gradiva
http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2007/01/10/288-notes-sur-l-index