Marguerite, Samuel, Françoise et les autres : portraits croisés d’une archive en friche
mai 25th, 2008 by admin
La consultation sur place de quelques fonds iconographiques (la plupart photographique) à l’IMEC (Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine) nous fait revenir sur certains sujets déjà mentionnées et discutés auparavant, à savoir :
• Le statut privé de ces collections
• Le problème de l’usage des fonds
• Le problème de la publication (ou plutôt non publication) en ligne ou de la reproduction de ces images
• Le contrôle difficile et le classement des images
Face à ces fonds, ce qui frappe d’abord est la fascination qu’exerce l’image. L’image bouleverse. Chacun a pris des notes visuelles de photos qui touchent ailleurs, quelque part à soi. Ce ne sont pas forcément les boîtes-dossiers des personnes dont on connaît le mieux les écrits qui sont les plus attirantes. Il y a un vrai plaisir à circuler de boîte en boîte, d’autant plus fort que le dispositif de ces deux jours était très ouvert. On a, par ailleurs, souligné la matérialité des images et des tirages (y compris, par exemple, pour des tirages couleur très cheap des années 80-90 avec le noir qui n’est jamais noir mais toujours sale, une bouillie de points ; ou les étiquettes « non-facturées » des années 1990-2000 collées sur certaines photos etc…). Matérialité elle-même source de réminiscences. En consultant plusieurs fonds de manière transversale, sans s’attacher à une personnalité en particulier, la matérialité des photographies, son histoire technique (diapositive, polaroïd, photomaton…) est particulièrement visible, permettant de les dater à défaut d’indication au revers, ce qui arrive très souvent. Le plus surprenant avec toutes ces archives photographiques, c’est l’absence de la moindre documentation : au contraire d’une simple lettre, la photo ne contient, en général, pas de date, pas de lieu, pas d’identification du sujet. Lors de la prise de vue, il semble que ces informations soient tellement évidentes qu’on en oublie de les noter. Or, ce seraient elles qui augmenteraient la dimension documentaire de ces images pour celui qui se penche sur ces fonds a posteriori. Car cette évidence disparaît avec le temps. Prenons la boîte intitulée « Robbe-Grillet Hamilton n°2 ». Elle contient une cinquantaine de cartons noirs au format A3 numérotés sur lesquels sont collés des tirages sans aucune indication ni légendes. On identifie facilement ces photographies comme étant des œuvres de David Hamilton mais le nom du photographe n’est indiqué nulle part dans la boîte elle-même. À priori, on se demande, quel rapport entre Hamilton et Robbe-Grillet ? Il n’y a aucun indice si ce n’est que l’on semble être en présence de la maquette d’un livre auquel Robbe-Grillet a probablement participé. Après une rapide recherche sur Internet, il s’avère que Robbe-Grillet a écrit les textes de deux ouvrages de Hamilton, Rêves de jeunes filles et Les Demoiselles d’Hamilton. L’indication « n°2 » ne fait finalement pas référence à la numérotation des boites d’archives mais au fait qu’il s’agit de la maquette du deuxième livre réalisé en collaboration entre Robbe-Grillet et Hamilton, Les Demoiselles d’Hamilton paru en 1982 chez Robert Laffont. Hamilton et Robbe-Grillet se connaissaient de par leur collaboration au magazine photo Zoom. Le titre du livre, probablement pas encore décidé, ne figure pas sur la maquette, pas plus que l’indication de l’auteur. Rien n’indique également si Robbe-Grillet pouvait garder cette maquette ou s’il aurait dû la restituer au photographe rendant le statut de cette archive juridiquement flou.
On est alors devant un objet qui ne devrait plus exister : une cinquantaine de tirages originaux réalisés par un photographe de renom en 1982 dans un état de conservation extrêmement médiocre (remontées d’argent, tâches, jaunissement, effacement partiel, nombreuses traces de doigts dans le tirage indiquant le travail bâclé d’une simple épreuve de travail). S’ils avaient été restitués au photographe, il les aurait probablement jetés. Pourtant, 25 ans après, ces tirages ont été conservés et bien archivés. Il est d’ailleurs assez paradoxal que ce soit ici les photographies d’un photographe renommé qui soient pratiquement les plus abîmées de toutes celles consultées. Mais cela n’enlève rien à leur intérêt, au contraire, ces photos sont très émouvantes dans la matérialité altérée évoquant des vieux tirages sur papiers albuminés ou les photo troubles et brouillonnes du tchèque Miroslav Tichy et les éloignant de leur univers « pictorialiste » d’origine. On pourrait également évoquer les Polaroïds de natures mortes de Robbe-Grillet, sortes d’esquisses pures de compositions, sans recherche esthétique finalisée mais qui semblent faire partager des instantanés de la pensée de leur auteur.
En regardant ces fonds sans beaucoup de contextualisation, la polysémie des images et leur non univocité se sont une fois de plus trouvées confirmées ; ainsi que la difficulté à produire un récit organisé de quoi que ce soit. Si l’organisation n’est pas structurée, la réception ne l’est pas non plus. L’organisation conditionne la réception.
Un relevé des différentes façons de « signer » une image s’avère ainsi intéressant : « Copyright, Agence… (par exemple: nouvelle photo), Photo, Centre Culturel Américain, reproduction autorisée, photo prise par, à ne pas publier sans la mention « photo …. copyright réservé », Autorizo la reproduccion de esta foto siempre que se diga…, Please credit……, Photo by…., Foto de… Agence de presse…. mention obligatoire pour toute reproduction, Magnum ©…., © + nom du photographe », etc. La mention « Photo de… », par exemple, peut renvoyer au modèle ou à l’auteur de la photo. Quand on ne sait pas qui est dans l’image, tout redevient possible. Ce simple relevé permet ainsi de se rendre compte de la difficulté que c’est de dire qui a pris la photo ou à qui elle appartient. Il révèle la fragilité du copyright (droit d’auteur) voire même du concept d’auteur.
Ce qui saute aux yeux est la grande diversité de ces boîtes : à chacune sa personnalité. Le lien de chaque personne (-alité) à l’image et à la photographie peut en partie se sentir à travers ces dépôts. Par exemple, chez Marguerite Duras – un dossier photo assez maigre –, le lien aux photographies en dépôt semble aussi pauvre, source d’aussi peu d’attentions que les légendes des photos, en particulier des quelques photos de tournage prises par Jean Mascolo (le fils). Ce légendage se contente souvent de (re)dire ce que la photo montre, « elle s’assoit sur ses genoux » par exemple. Au fond, ces photos de tournage sont prises sous le mode de la photo de famille. Et dans la famille, on fait des films le dimanche comme d’autres font des repas de famille. Le fonds Adrienne Monnier, quant à lui, reproduit l’effet de circulation, de lieu-carrefour que pouvait être la librairie « La Maison des amis des livres ». Les portraits d’écrivains et d’artistes circulent eux-mêmes dans et par l’image : portraits aux murs de la librairie photographiés au même titre que les individus eux-mêmes ou que des portraits peints ou dessinés ; ou encore montages et collages de photos à la Prévert ou à la façon des surréalistes. Le cas des libraires et de la construction de leur image est, d’ailleurs, particulièrement intéressant car la photographie semble au coeur du processus. Les fonds Martin Flinker et Adrienne Monnier présentent ainsi des similitudes frappantes. On retrouve des photographies d’eux en train de poser dans leurs librairies respectives, devant des étagères de livres sur lesquelles des photographies (souvent dédicacées) de personnalités passées par la librairie (écrivains et acteurs surtout) sont soigneusement posées. On retrouve d’ailleurs ces portraits dédicacés dans les fonds d’archives conservés à l’IMEC (photo dédicacée de Romy Schneider, de Jünger, Thomas Mann pour Martin Flinker, par exemple ou photos non dédicacée de Sartre et de Saint-Exupery). Sous le mode de la mise en abyme, ces photographies d’autres figures d’écrivains participent à la valorisation de la librairie et de son propriétaire comme autant de preuves de la “qualité” du lieu.
Par ailleurs, quand le fonds Françoise Giroud recèle une multitude de photos d’elle toutes, ou presque, issues des agences de presse, le fonds Armel Guerne (traducteur) contient presque uniquement des photographies privées, parfois soigneusement classées dans des albums qui se veulent une chronique des étés passés au Moulin. À tire d’exemple, un album intitulé « Au vieux moulin et ses habitants…des moments noirs et gris d’un beau séjour-la réalité alors-vue et jouie. Eté 1963 », recèle des photographies de paysages, du moulin et d’animaux, ce qui est rare dans les autres fonds. On pourrait ainsi mesurer le degré de notoriété, de “construction” de l’image publique des auteurs. Les fonds non conditionnés sont pour cela plus parlant puisqu’ils contiennent les albums d’époque et leur aspect “non trié” peut être révélateur.
Car, de la « lecture » de plusieurs dossiers de ces personnes, qui ont aussi eu une vie publique, c’est toute la construction de la vie intellectuelle du XXème siècle qui ressort. Construction – supercherie ? – extrêmement claire au regard des images. On ressent la confiscation de l’espace médiatique, donc public, par des figures et des personnages complètement construits. Quand bien même, ils sont de grands bonshommes et de grandes bonnes femmes, et appartiennent souvent au Panthéon personnel de chacun, ces fonds photographiques révèlent combien leurs personnages publics ont pu monopoliser l’espace collectif, en particulier grâce à l’image. Il suffit de quelques images plus personnelles, plus inattendues, pour immédiatement fissurer les personnages publics. La rareté de cette archive et l’accès privilégié à ces fonds n’apparaît alors plus comme un privilège mais plutôt comme un dû. À ce titre, ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater qu’en France, on est capable de se donner de tels moyens de conservation et d’archivages sans pour autant financer des personnes susceptibles de travailler sur et avec ces fonds.
Gaby David, Claude Estebe, Audrey Leblanc et Cécile Nedelec
Bravo pour le billet! Une remarque: le titre est un exercice en soi. Celui retenu ci-dessus suggère-t-il un compte rendu des vingts ans de l’exercice de l’institution? Dans le cas contraire, ne vaudrait-il pas mieux se donner un peu de mal pour trouver un titre plus approprié? Merci d’y réfléchir.
AG
ou: “Portrait croqué d’une archive en friche”?
Pas mal non plus. A vous de voir. Un bon titre, ça fait venir des clients…
“IMEC : à voir et à légender” ?
“Marguerite, Samuel, Françoise et les autres…”?
Et pourquoi pas une fusion des deux propostions d’Audrey : “Marguerite, Samuel, Françoise et les autres : portraits croisés d’une archive en friche. ?
En tout cas, merci pour le remix !
oui, j’aime bien le dernier titre “fusionnel”.
Est-ce que les téléphones portables, les appareils numériques, ces manies de photographier tous, tout, tout le temps, et l’indissociable diffusion de ces images sur les réseaux de partage du web peuvent amener un peu de “naturel” dans l’espace public? des images protéiformes?
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